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MERLIN L’ENCHANTEUR.

gueil, si c’eût été là sa pente. Dans le trouble où il était, il perdit encore sa harpe au bord du Lido, ce qui mit le comble à sa détresse.

Du moins, s’il eût pu racheter sa chute par quelque entreprise héroïque ! Mais, où en trouver l’occasion, en des temps si avares ? Elle va d’elle-même s’offrir libéralement à lui. Fasse seulement le ciel qu’il sache, la saisir !

C’était dans les Apennins, par delà Bologne ; une nuit d’été, sans souffle, sans murmure, étouffante, orageuse, pleine encore des feux inextinguibles du jour. Au plus haut du ciel, Cassiopée ensanglantée s’inclinait sur Orion. De moment en moment, un rapide éclair ; puis l’horizon palpitait, s’ouvrait, se fermait, comme une paupière divine. Pour rendre le chemin plus étroit, des rochers noirs de basalte se dressaient en colonnes lisses, effilées ; vous les eussiez prises pour la demeure des beaux songes italiens, surtout quand les lourds papillons de nuit se heurtaient en aveugles contre la nuée dorée des lucioles dont les ténèbres étaient illuminées.

Merlin et ses deux compagnons venaient de gravir en silence la crête la plus âpre. Deux lieues encore les séparaient du petit bourg de Taglia-Pietra ; c’est là qu’ils devaient trouver leur gîte. Soudainement, à leur gauche, à mi-côte, des flammes bleues, rouges, violettes, des fleurs de feu émaillées d’or, jaillissent des flancs maigres de la montagne. On entend un soupir immense s’exhaler lentement d’un cratère :