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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Merlin corrigeait alors de ses propres mains les défauts de l’imitation. Il ajoutait, il retranchait, il changeait ; mais il laissait la gloire à d’autres.

Cela fit que Florence fut couverte bientôt de portraits de Viviane. Églises, monastères, palais, tout en était rempli. Même les ermites voulurent en posséder la copie enluminée. Pas une retraite ombreuse de Camaldules, sur un mont des Apennins, où cette image n’embellit le désert. C’était la grande affaire de tout le pays. Chacun s’intéressait à l’amour de Merlin ; que dis-je ? chacun le partageait. — « Mais, enfin, où est-elle ? Qui est-elle ? Où vit-elle ? » s’écriait souvent le menu peuple, au milieu même de ses éblouissements.

Un jour, un jeune peintre, nommé Thaddeo, qu’aucune de ses tentatives n’avait pu satisfaire, tomba dans le découragement. Il prit en haine ses pinceaux. Plein d’amertume et de dégoût, il alla trouver Merlin :

« Êtes-vous bien sûr qu’elle existe, ô maître ? Ne nous condamnez-vous pas à poursuivre une ressemblance imaginaire, impossible ? Voyez ! j’ai follement perdu mes jours à vouloir la peindre, sans l’avoir jamais vue. Maintenant, je vais mourir. Ah ! Merlin, que vous seriez coupable si vous nous aviez trompés !

— Moi, vous tromper, Thaddeo ! répondait Merlin. Ah ! grand Dieu ! si Viviane n’existe pas, j’existe bien moins encore. Si elle est un songe, je ne suis pas même une ombre. »

À ce moment le gonfalonier annonça qu’ayant répandu le portrait de Viviane dans toute l’Italie, on avait