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LIVRE X.

« Que serait-ce donc si vous l’aviez vue elle-même, et non cette misérable ébauche ? » répétait Merlin.

Et il s’en alla, de lieux en lieux, peignant la figure adorée, tantôt à la fresque, tantôt en mosaïque, le plus souvent au simple crayon. J’ai vu moi-même une de ces figures, ainsi ébauchées par Merlin, dans l’église de San Miniato, à droite du maître autel, au fond du chœur. En y pensant, je ne sais quel trouble me saisit encore.

Ce que les hommes de nos jours auront peine à croire, tout un peuple devint amoureux des images peintes par Merlin. On ne rencontrait plus que des hommes pris de passion pour cet objet inconnu, dont l’enchanteur leur avait montré imprudemment peut-être le portrait altéré. Il se trouva des milliers de peintres qui ne respiraient que pour reproduire quelques-uns des traits de Viviane. À la vérité, ils étaient réduits à copier le modèle qu’en avait donné Merlin. Mais chacun espérait découvrir une beauté cachée de ce modèle inconnu.

Souvent Merlin poussait la complaisance jusqu’à conduire lui-même la main du peintre ou du sculpteur qui avait le mieux réussi. Aux uns il disait : « Voilà bien ses lèvres vermeilles ; mais où est son sourire et son baiser ? » Aux autres : « Je reconnais ici son nez de médaille. C’est encore là à peu près la ligne incorruptible de son front, l’arc léger de son sourcil. Mais, grand Dieu ! que ce buste grêle est loin de la vérité ! »