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LIVRE I.

pencher un monde. Ce moment est solennel. Mon âme commande à la terre. Esprits des cieux, des bois, des eaux, des fleurs et des métaux, me reconnaissez-vous pour votre maître ? Génies qui étouffez emprisonnés dans les veines ardentes des pierreries, sylphes qui vous enivrez de rosée dans les coupes ciselées des glands, aspioles aux ailes diaphanes trempées dans l’arc-en-ciel, elfes qui dansez sur les fils tendus de la Vierge, au chant flûté du rouge-gorge et du roitelet, ondines qui vous bercez sur l’écume de la onzième vague, venez ! saluez votre roi ! c’est aujourd’hui son couronnement ! »

Il n’entendit que l’écho de sa voix ; cet écho lui sembla un ricanement moqueur ! Il continua : « Quoi ! je n’aurai pas la puissance de courber un brin d’herbe sous mon intelligence ! » Et il regardait avec colère une joyeuse marguerite des prés qui souriait, quoiqu’il l’écrasât de son regard. Un ver de terre vint à passer, tout repu de limon, Merlin lui cria d’une voix de tonnerre : « Esclave ! âme d’argile, arrête-toi ! » Mais en vain ; le vermisseau se joua du grand enchanteur.

On se figure aisément de quel dégoût notre héros était alors saisi pour les livres. Il les rejetait loin de lui ; il tombait dans une contemplation morne, qui chez tout autre eût pu s’appeler oisiveté.