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MERLIN L’ENCHANTEUR.

vreuse a consumé nos âmes. Maintenant, que tout nous a trompés, nous attendons encore.

— Ô vous qui passez sur ce chemin, s’il vous est permis d’entrer, ne nous laissez pas gémir sur le seuil.

— Pendant que l’espérance soutient encore cette chair fragile, travaillée de tant de douleurs, ouvrez-nous, par pitié ! ces portes désirées. Peut-être demain nous ne vivrons plus ; personne ne pourra trouver nos os, pour les porter dans la terre bénie qui nous a fait naître. »

Ils se turent. Merlin s’arrêta un moment à écouter cette foule d’hommes, aux visages hâlés, aux yeux noirs, creusés, où la source des larmes semblait avoir tari.

« Certes, dit-il enfin à ses deux compagnons, leur attente a été assez longue. C’est pleurer et gémir trop longtemps. Toi, Jacques, ôte-moi ce verrou qui me gêne ! Toi, Turpin, cette forte barre transversale qui tient la porte si bien enclose aux misérables. M’entends-tu ? Allons, amis ! Hardi ! Courage ! »

Et lui-même, ébranlant la porte, il la fit d’abord crier sur ses gonds séculaires ; puis il l’ouvrit toute grande à ceux qui gémissaient et n’osaient en croire leurs yeux.

« Entrez chez vous, bonnes gens ! » s’écria-t-il.

Tous, aussitôt, se pressèrent sur ses pas, et il y eut une place suffisante pour chacun d’eux. Ayant retrouvé leur patrie, leurs champs, leurs enclos, l’escalier de pierre de leurs maisons, et les tombeaux de leurs parents, ils s’assirent sous les oliviers et ils pleurèrent.