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MERLIN L’ENCHANTEUR.

rent. Devant eux se plaça Jacques Bonhomme, chaque main armée d’un bâton. Les préparatifs achevés, tous trois se lancent perpendiculairement dans l’abîme.

Rapides comme l’éclair, ils rasent les bords du précipice. Mais, au lieu de s’y engouffrer, il suffit, pour s’en détourner, que Jacques appuie sur l’un des bâtons, et le gouffre est évité. Deux ou trois fois ils sont renversés. Aussitôt ils enfoncent leurs bras jusqu’au coude, dans la neige molle et nouvelle, et s’y tiennent suspendus ; puis, en rampant, ils regagnent la claie, non pas sans échanger entre eux un de ces rires ingénus, radieux, qu’avaient seuls connus avant eux les divinités d’Homère, lorsque, elles aussi, traversaient l’espace en un clin d’œil.

Mais, de plus que les dieux, Merlin et ses compagnons avaient le sentiment qu’ils étaient hommes. À mesure que les abîmes mouvants tournaient, se creusaient, s’effaçaient, se comblaient sous leurs regards, toute peine était oubliée dans cette ivresse sereine. Merlin fut obligé d’en convenir. Il partagea la joie de ses compagnons, et se prit à sourire comme eux, au moment où ils atteignirent le fond de la vallée. Ce premier sourire espiègle de Merlin s’est conservé intact dans l’endroit où ils s’arrêtèrent. C’était justement en face des îles lilliputiennes de Borromée. Voyez-les ! Tout vous y sourira de cette joie fantasque, connue seulement des enfants et des dieux, et que Merlin retrouva ce jour-là.