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LIVRE X.

fus de ma vie plus disposé à me réjouir. Allons, buvez-moi de ce broc et noyez ces fantômes.

— Je le voudrais, ami, repartit Merlin ; mais, quoi que je fasse, ils reparaissent. Oui, oui, des deux côtés du lac j’entends une plainte d’amour qui sort des eaux. Écoutez. C’est Viviane qui appelle. Courons où cette voix retentit. »

Tous trois abordèrent à l’endroit où blanchissent les rochers de Meillerie. Ils parcoururent avec le plus grand soin le Chablais, burent l’eau fantastique d’Évian, où Merlin jeta un heureux sort, interrogèrent les contrebandiers d’Amphion, vendangèrent avec eux, s’oublièrent autour du pressoir, firent amitié avec les Savoyards porteurs de hottes, amis des bonnes gens, cueillirent en liberté des brindées de noix et de châtaignes. Mais nulle part ils ne trouvèrent ce qu’ils cherchaient.

« Je l’avais bien prévu ! disait Turpin.

— C’est donc un songe ? disait Merlin en regardant tour à tour l’eau, le ciel et les rochers.

— Croyez-moi, seigneur Merlin, laissez reposer votre cerveau. Les imaginations qui passent par la tête des hommes sont des feux follets ou des filles de l’enfer. Malheur à qui s’y fie !

— Qui sait ? » interrompit le prophète en soupirant. Et il entra par la porte de Scex dans le Valais, où il guérit quatre goitreux et un lépreux de la cité d’Aoste. Il guérissait aussi les âmes en les touchant seulement d’un regard.