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LIVRE X.

jusqu’à leurs pieds des rubans argentés de neige ; mais, à sa gauche, voyez-vous Montreux toujours baigné d’un soleil printanier et ce collier noir de forêts qui s’enlace autour de la cime du Cubli, si bien que toutes les autres en sont jalouses ?

Pour fêter mon héros, les quatre saisons se sont rassemblées à la fois autour de moi : le printemps aux doux yeux changeants de pervenche, de violette et de jonquille dans le lit abrité de la Verraye ; l’été dans la lumière embrasée du matin, qui sort de la gorge du Valais comme de la gueule d’un four ; l’automne dans les grappes cramoisies du sorbier qui pendent sur l’arbre effeuillé ; l’hiver avec ses glaces sur le front de Noirmont, de Jaman et de Naye. À leurs pieds est le village d’où je fais signe à Merlin pour qu’il aborde :

« C’est ici, ô maître ! c’est ici qu’il faut plier la voile pour toujours. Viens, prophète, sous mon toit, où j’ai fait préparer le repas du matin. Apporte-nous la patience dans l’attente, la victoire du juste, la sainte paix qui la suit ; apporte-nous aussi la force et la santé des chênes ! »

Mais ma voix n’arrive pas jusqu’à lui. Debout dans sa barque, il contemple les rochers de Meillerie aiguisés en soc, Vevey, les ombrages naissants de Clarens, les murs alors nouveaux et blancs de Chillon, qui servaient en ce temps-là de palais aux Ondines et aux femmes des eaux, sitôt que le jour tombait. À cette vue, deux ruisseaux de larmes coulent de ses yeux ; il aurait voulu s’en cacher, car il était honteux de pleurer devant Turpin. N’ayant pu se déguiser, il lui dit :