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MERLIN L’ENCHANTEUR.

murmurer, je regarde leur face immuable. La honte me prend, alors, de me sentir si fragile.

Quand mon âme est ébranlée, ils me soutiennent de leur âme de pierre ; ils font descendre sur moi leur pensée inaltérable qui a résisté, sur ses fondements de granit, à toutes les tempêtes du ciel. Par mille voix sonores échappées des antres, ils me disent : « Tu es à ta place comme nous à la nôtre. Restons-y. Garde-toi d’en chercher une meilleure. »

Qu’irais-je faire parmi les hommes ? Comment plierais-je ma langue à leurs pensées subtiles ? Comment façonnerais-je mon visage et mon cœur à tous leurs reniements ? Je me sens défaillir en y pensant.

Ici, dans cette enceinte crénelée jusqu’au ciel, je reçois un bon message ailé de chaque point de l’étendue. Ici, les sommets roses me sourient dès la pointe du jour ; nul d’entre eux ne songe à me faire une injure. Ici, je contemple, dès la première heure, les lieux hauts où ne montera jamais aucune pensée servile. Ici, je puise la sérénité des jours limpides dans la coupe bleue du Léman, qui s’ouvre pour faire au Rhône une entrée triomphale.

Avec l’aube, j’ai vu une voile blanche émerger du fond des eaux ; à son pavois j’ai reconnu la barque de Merlin. Pendant qu’il avance lentement, la Dent du Midi élève devant lui un trépied de neige préparé pour ses évocations. Où va-t-il aborder ? Les deux rives se disputent entre elles pour l’attirer. Laquelle préférera-t-il ? À sa droite, les montagnes d’Oche laissent rouler