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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Merlin les plaça en sentinelles ; et il y en avait de toutes les provinces de France ; ils promirent de faire la guette, de génération en génération, se relevant les uns les autres.

« Veillez, Français, poursuivait-il ; veillez pour tous, hommes de bien de Normandie et de Gascogne, de Champagne, de Bretagne et d’Anjou. Je vous confie sur cette table la nourriture et le breuvage des mondes à venir. N’en laissez rien dérober, ni de jour, ni de nuit, par nul larron ou roi glouton, hormis par les oiseaux du ciel, s’ils ont aussi, comme nous, soif de Dieu le Justicier. Sénéchal, tu m’en réponds ! Vous, Turpin, remettez les flacons. Toi, Jacques, n’emporte pas ainsi la part du roi. »

À ces mots, Jacques et Turpin, humiliés, remirent chaque chose où ils l’avaient dérobée. Force épées nues, force targes dorées, force hauberts écarlates, flamboyèrent au soleil autour de la table ; Arthus y conviait de l’épée, chaque jour, le monde. Les oiseaux qui passaient, les taureaux indomptés buvaient dans sa coupe.

Le lendemain, sans tarder davantage, on vit arriver des nations pâles, haletantes, presque nues, mourantes, faute d’espérance ; et, trouvant cette table, dressée en pleine France, elles s’assirent en silence et se rassasièrent.

Après elles, d’autres vinrent plus affamées encore, et elles se gorgèrent à leur tour. La table, toujours grandissant, avait toujours des places vides.

« Qui nous a préparé ce banquet éternel ? disaient,