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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« Pauvre Juif errant, dit Merlin qui eût voulu l’embrasser, en se souvenant qu’il l’avait rencontré autrefois et abrité de son manteau. Tiens, Ahasvérus ! bois, comme ils font tous, à cette coupe. C’est la coupe du Calvaire.

— Du Calvaire ! s’écria Ahasvérus en reculant d’horreur.

— Qu’il boive ! dit la foule.

— Est-ce, reprit Ahasvérus, un breuvage qui fait mourir ?

— Non, il nous fait immortels.

— Gardez-le donc pour vous votre odieux présent. »

Il se retira ; nulle instance des peuples ne put le ramener vers la table. Jacques le dévorait des yeux, sans oser approcher. Turpin, l’ayant accosté, essaya aussi vainement de le ramener. Mais, du moins, il apprit de lui tout ce qui a été raconté plus tard dans le livre d’Ahasvérus.

« Qu’il boive à la coupe, s’écriaient Arthus, Siegfried, Hildebrand, chez qui la haine recommençait à poindre.

— Oui, aboyait la foule ; sinon, lapidez-le.

— Gare à qui le touche, dit Merlin. Laissez-le, bonnes gens. C’est le premier que je n’ai pu guérir. Il a soif aussi, mais de douleur, et veut une autre coupe. Il la trouvera. »

Ces mots apaisèrent ceux qui reprenaient déjà goût à la haine ; l’homme errant qui l’avait réveillée était loin de leurs yeux. Chacun se rassit sur son siége de