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MERLIN L’ENCHANTEUR.

ques notions vagues, quelques aspirations générales à quoi se réduisait son savoir, étaient fort peu de chose, sans la connaissance des faits. Il fit vœu de devenir aussi savant que Taliesin. Depuis ce jour, nul ne le rencontra sans le voir un livre à la main.

« Va et raconte au monde dans quel isolement je meurs ! dit encore Taliesin. La mort du moindre oiseau, du moindre insecte bourdonnant dans les bois, fait plus de bruit que la mienne. Regarde et instruis-toi, mon fils. »

Puis, s’exaltant à mesure que sa fin approchait et déjà tout illuminé des clartés du tombeau, il ajouta avec une majesté incomparable :

« C’est moi qui étais à la droite de Dieu quand il créa le monde[II.]. Je me promenais dans l’Éden, au moment où la parole de malédiction sortit de la bouche de Satan. Je suis le premier barde, ô mon fils ! et mon premier séjour est la région des étoiles. J’étais avec mon Seigneur dans la plus haute sphère, à la chute de Lucifer, dans les profondeurs infernales. J’ai porté ma bannière devant Alexandre. Je connais le nom des étoiles du Nord et du Sud. J’ai été dans la voie lactée auprès du trône du Très-Haut ; j’étais en Chanaan, lorsque Absalon fut tué. J’ai transporté le Saint-Esprit dans la vallée d’Hébron. J’ai été maître auprès d’Hélie et d’Énoch. J’ai été auprès du crucifiement du fils de Dieu. J’ai été le premier architecte de la tour de Nemrod. Je suis une merveille dont l’origine est inconnue. J’ai été dans l’arche avec Noé et Alpha. J’ai vu l’anéantissement de Sodome et Gomorrhe.