Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.
303
LIVRE IX.

tu visites encore le monde en ma compagnie avant que tu puisses profiter de ceux que j’aurais choisis volontiers pour mes maîtres si j’avais dû en avoir. Mais le jour viendra, mon fils, où tu liras comme moi dans leurs esprits. Tu me remercieras alors de n’avoir pas mis plus tôt entre tes mains ce que tu n’aurais pas la force de porter.

« Quant à vous, Turpin, voyez quelle est la puissance de ces enchanteurs ! Je ne puis assurer que ceux d’aujourd’hui les égalent jamais ; car, sans les comprendre, il vous a suffi de conserver près de vous leurs feuilles scellées et d’y jeter de temps en temps les yeux pour garder votre bonne humeur, au milieu de la sauvagerie de nos temps. Ayant vécu le plus souvent près de la demeure des ours et des aigles, comment ne seriez-vous pas devenu tout semblable à l’un d’entre eux, si vous n’aviez eu près de vous ce talisman ? Jugez donc de ce qu’il aurait fait si vous aviez eu des oreilles pour l’entendre. »

La conclusion fut que Turpin avait sauvé ce qui devait être la consolation des sages, qu’il veillerait mieux que jamais sur le trésor commun sans jamais se permettre d’y ajouter une ligne de sa main.

En récompense, Merlin lui promit tout le parchemin vierge dont il aurait besoin ; et le fait est qu’à partir de ce jour il n’en manqua plus une seule fois. En quelque lieu qu’il fût, à peine avait-il pris son repas, il copiait, copiait, quand nul n’avait besoin de sa rapière ; car jamais il n’en refusa le secours à personne.