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MERLIN L’ENCHANTEUR.

perbe Sicambrie, la capitale de l’empire des Légendes.

« N’attendez pas de moi, seigneur, que je vous décrive ses merveilles, non plus que celles de Potentiana. Hélas ! ces reines des cités sont menacées ; bientôt elles n’existeront plus que dans la mémoire de Turpin. J’y reçus de nobles festins de chair de chevaux consacrés par les prêtres, surtout j’y vis la grande fabrique des nations. Par chacune des portes de Sicambrie sortaient incessamment des peuples qui allaient renouveler le monde. Ils semblaient couler comme des fleuves inépuisables, dont chaque flot serait un homme de fer. On entendait perpétuellement, sur la grande place, comme le bruit d’un fléau sur l’aire, et quand je demandai à un passant : « Quel est ce bruit ? » il me répondit : « D’où venez-vous ? Ignorez-vous que c’est le fléau de Dieu ? »

« Dans un autre endroit (c’était une forge enfumée) j’entendis le bruit d’un marteau gigantesque. Je me hasardai encore à demander : « Quel est ce bruit ? » Un autre passant me répondit : « D’où venez-vous ? Ce marteau est le marteau de Dieu dans la main de son bon forgeron. »

Turpin, visiblement ému, s’arrêta un moment, après quoi il acheva son récit dans ces termes :

« Pour me rapprocher de ma douce patrie, je pris mon chemin par les vertes forêts de la Bohême. J’y reçus l’hospitalité dans la hutte de Tchek. En chassant aux outardes, il venait de faire la découverte de tout le plat pays dont il était émerveillé. C’était un homme de bien, quoiqu’il adorât encore les arbres et