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LIVRE IX.

À cet endroit du récit, Merlin sourit comme s’il eût eu quelque part à cette merveille.

« Certes, dit-il, voilà une journée que je vous envie ; car, par tout ce que j’entends depuis peu de ces peuples qui boivent l’eau de la Bistritza, ils me semblent très-gens de bien. Chaque jour je regrette de ne les avoir point encore visités.

— N’en doutez point, Merlin ; ils méritent que vous les visitiez un jour, outre que les chevriers y parlent le meilleur latin de la chrétienté, seulement avec l’accent asiatique. Couché à l’ombre des sapins, que de longs jours je passai à les entendre chanter leurs Doïnas rustiques qu’ils accompagnent de la sampogne. Après tant de traverses, la douceur de ces bonnes gens me séduisit. Pendant qu’autour de nous la guerre rugissait dans les bocages rouges, j’ambitionnai de me faire parmi eux gardien d’abeilles. Au milieu du fracas des armées, il me semblait beau de semer des fleurs de réséda et de basilique autour des ruches, et de les entendre bourdonner. Les peuples m’offrirent cette charge réservée parmi eux à la prudence des vieillards centenaires. Durant trois mois, je gardai leurs abeilles, abrité dans une hutte de paille qui ressemblait elle-même à une ruche.

« Un jour, l’un de mes essaims s’envola : je le suivis en frappant d’un javelot d’airain sur un vase d’airain ; l’essaim continua de voyager, moi de le suivre. C’est ainsi que de forêts en forêts, de bruyère en bruyère, je fus conduit au pied des murs toujours sanglants de la su-