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LIVRE IX.

de cent vingt-quatre années, le plus doux des humains et aussi le plus pieux, toujours les larmes aux yeux, très-assidu aux offices, chantant à matines d’une voix encore pleine et majestueuse ; au demeurant, vrai chevalier, et qui, certainement, a été calomnié.

« Il voulut que je fusse son chapelain. Je le fus. Je le serais encore sans une circonstance que je dirai bientôt.

« Je connus aussi Dietrich de Bern, que vous appelez Théodoric de Vérone ; galant homme s’il en fut, moins dévot qu’Attila, mais aussi courtois, et qui pourtant ne laissa pas d’être la cause involontaire d’un grand changement dans ma destinée.

« Un jour il jouait aux dés avec Etzel. Etzel était en veine. « Je joue, dit-il en m’avisant, mon chapelain. » C’était moi. Il perdit. Théodoric me jeta au col un collier d’or. Je lui appartenais, il m’emmena.

« Cette circonstance si simple me fit réfléchir, et, dans la foule de sentiments qui m’assaillirent, voici ce que je démêlai : d’abord un profond dépit d’être traité comme une pièce de butin ; le mal du pays, le désir ardent de revoir ma chaumière, si elle subsistait encore, et d’entendre ma langue. Je vous ai dit que j’avais la passion d’écrire sur de beaux parchemins, et nulle occasion ne s’en offrait jamais dans ces forêts ; outre que je ne pus jamais m’accoutumer à la cervoise ni à l’hydromel, seule boisson, comme vous le savez, des nations barbares.

— Se peut-il ? dit Jacques.

— Oui, répondit Turpin. Donne-moi, Jacques, quel-