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LIVRE IX.

qu’il appelait le maître. Pour lui, je le vois encore, la face grasse, les cheveux plats et noirs, le nez en bec d’aigle.

— Poursuivez, dit Merlin, que l’impatience commençait déjà à gagner. Il eût suffi de dire que c’était un Romain.

— Pardonnez-moi, c’était le lieu ou jamais de tracer son portrait. Il fit si bien, que, nous ayant tout ôté, il remplit encore la cabane de garnisaires, tous Romains comme lui. Par désœuvrement, voyant en moi un garçon délibéré, prêt à tout, ils m’apprirent un peu de latin et de religion ; et comme j’avais une singulière inclination pour la lecture et l’écriture, ils s’amusèrent aussi à m’enseigner leur alphabet. J’y réussis à merveille. Bref, sans savoir comment, je me réveillai un jour tonsuré et prêtre.

« Notre vie était à peine supportable, quand une nuée de barbares s’abattit sur notre canton. C’étaient les Vandales, les pires des hommes, s’ils n’eussent été suivis de tous ceux que vous connaissez. Ils voulurent bien ne nous prendre que les deux tiers de la cabane et du champ et nous laisser l’autre tiers. Mais, si nous avions eu jusque-là tant de peine à vivre de notre mince héritage, je vous laisse à penser ce que nous devînmes après ce nouvel arrangement.

« Il est vrai que l’un de ces vagabonds, aux moustaches enduites de beurre aigri, me dit que je serais régi par la loi romaine, ce qui me consola d’abord en sauvant ma vanité. Car je ne voyais rien de plus beau que