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MERLIN L’ENCHANTEUR.

ou trop timide, lorsque Merlin vint à penser qu’il n’avait pas encore demandé au futur archevêque Turpin comment, l’ayant laissé au bord du Rhin, il l’avait trouvé armé de pied en cap dans une niche des Vosges. Se trouvant de loisir dans la plaine, il le pria de l’en éclaircir.

Turpin s’attendait à cette question et la saisit au vol. Car, étant resté longtemps dans sa niche solitaire, il brûlait du désir naturel de délier sa langue.

« Tout se tient dans ma vie, dit-il. Ce que je pourrais vous apprendre vous serait incompréhensible si je ne commençais l’histoire dès le premier jour de ma naissance.

— Voilà justement ce que je désirais le plus, répondit Merlin, qui se serait peut-être passé de cette introduction.

— Il faut donc vous satisfaire, » repartit Turpin. Et il s’exprima ainsi, doublant le pas, sans que Jacques, qui suivait, perdit une seule de ses paroles :

« Je suis né dans le petit bourg de la Tranclière, province lyonnaise. Mes parents, qui n’avaient que moi d’enfant, étaient des paysans fort obscurs et même, si j’ose le dire, encore un peu païens.

— Continuez, interrompit Merlin ; je ne doute pas qu’ils n’aient été éclairés à propos.

— C’est ce que j’allais vous dire. Mon père avait une cabane et un champ. Nous aurions pu en vivre, si tous les mois un procurateur ne fût venu nous ôter le pain de la bouche pour César. C’est ainsi