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LIVRE IX.

plus grande partie des habitants. Avant de consentir à y mettre le pied, Merlin s’informa de ce qui avait été la cause de ces horreurs. Il apprit qu’une longue guerre avait éclaté entre les bourgeois et les seigneurs ; la guerre continuait parce que personne dans le pays ne savait assez bien l’alphabet pour écrire une charte de paix.

À peine il se fit connaître, vainqueurs et vaincus se pressèrent autour de lui pour le conjurer de composer cette charte.

« Je la dicterai à Turpin, répondit Merlin ; et vous y serez à jamais fidèles, de père en fils !

— À jamais ! » répliqua la foule.

Sur cela, Turpin prit la page de parchemin la plus blanche qu’on pût trouver en France ; il tailla avec précaution sa plume d’aigle, et voici ce que l’enchanteur Merlin dicta d’une haleine :

« Ce jour d’huy, a été convenu ce qui suit entre les bourgeois et manants de ce lieu, les seigneurs et le roi du pays : À partir de ce jour, sur l’heure de midi, tous ceux qui naîtront sur cette terre chérie, en qui j’ai mis mon cœur, seront et demeureront libres. Ils se nommeront Français, c’est-à-dire qu’ils seront francs de toute corvée, obligations, vexations, gêne, appréhension, inquiétude, douleur, infirmité ou misère, tant du corps que de l’âme, pour le présent et l’avenir. Étant bien entendu que quiconque touchera cette terre ou les attenants d’icelle, villes, villages, hameaux, bois, forêts, cours d’eaux et moulins, et vainc pâture, n’aura rien à