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MERLIN L’ENCHANTEUR.

de l’épée ; et vous tiendrez ainsi par les deux bouts la chaîne des siècles d’or ; tant la trame de vos jours sera d’un fil tenace qui résistera au ciseau, et cette longue vie vous fera plus d’un envieux. Turpin, venez et suivez-moi ! je vous dicterai plus de choses que vous n’en pourriez écrire sur tous les parchemins des Gaules. »

Turpin se réjouit dans son âme de la longue vie qui lui était promise. Car, de l’humeur dont il était, prodigue aux autres de son temps, ne sachant pas son âge, facile, entreprenant, riche de cœur, candide, il prenait toutes choses, et même les tueries, par le côté le meilleur. Après sa rapière et son chapelet, ce qu’il aimait le mieux au monde, c’était son écritoire. Il était alors dans toute sa verdeur, ayant ou croyant avoir vingt-cinq ans à peine, grand, fort, le teint bistre, l’œil noir, le cou bref et replet, toujours prêt à tailler de l’épée, prier ou grossoyer. Il avait sur lui, comme on l’a vu, sa rapière et son rosaire. Il n’eut qu’à chercher dans son trou de rocher son écritoire, et le voilà marchant de son bon pas de guerre à la suite de Merlin. Son cheval hennissant sortit d’un taillis et s’élança derrière lui en quelques bonds.

Le jour ne se passa pas sans que l’on vît combien Merlin faisait tout à propos. Pourquoi entraînait-il avec lui Turpin, qui n’était pas encore archevêque et qui n’avait pour lui que sa bonne écriture gothique ? Vous allez l’apprendre.

Il se trouva que, dans la première ville où ils allèrent coucher, les remparts fumaient encore du sang de la