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LIVRE IX.

dent sur eux, et pour droit de péage s’apprêtent à les dépouiller de la vie. Mais, voyez ! Un ermite sort de la fente d’un rocher, un chapelet dans une main, une immense rapière dans l’autre. Il court, il crie, il frappe ; les hommes de proie tombent blessés. L’ermite puise dans le creux de sa main un filet d’eau à la source voisine ; il se hâte de les baptiser ; puis, voyant qu’ils étaient morts l’un et l’autre et que leurs gens étaient en fuite, il remet tranquillement sa dague dans le fourreau.

Sans doute, Merlin eût pu se défendre par sa seule puissance ; il ne laissa pas néanmoins de se montrer reconnaissant envers l’homme qui lui avait prêté un secours si généreux. Il le remercia avec effusion, puis tout à coup, après l’avoir considéré de plus près :

« Que vois-je ? dit-il. N’êtes-vous pas l’ermite que j’ai rencontré au bord du Rhin, le jour où le Christ passa sur les épaules de Christophe ?

— Moi-même ! répondit l’ermite. C’est moi qui tenais la torche. Je suis Turpin.

— Turpin, d’où venez-vous ?

— Du pays des légendes.

— C’est donc vous qui serez l’archevêque Turpin, célèbre entre tous par ses Chroniques ! Plus jeune que moi, vous vivrez plus longtemps. À vous seul, il sera donné, sur la terre, de voir, dans une même vie, la cour d’Arthus et celle de l’empereur qu’ils appelleront le grand Charles. Jeune sous le premier, vous serez vieux, mais encore assez vert sous le second, pour le protéger