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LIVRE I.

S’il était druide ou chrétien, c’est ce que l’on ne savait pas exactement. Quelques-uns assuraient qu’il était l’un et l’autre. Il demeurait dans un bois où il s’était bâti lui-même une hutte, près de laquelle ruminaient en paix des troupeaux d’aurochs qu’il avait apprivoisés. Des chênes grisonnant de vieillesse, couverts de gui, le cachaient sous leur ombre. Représentez-vous un homme de soixante-dix ans, la taille haute, le teint clair, les cheveux écarlates, sous lesquels brillaient deux yeux bleu-de-ciel, en tout une physionomie à la fois robuste et mystique.

Dès que Merlin lui eut confié la cause de ses tourments, Taliesin l’interrompit avec bonté : « Ô mon fils ! lui dit-il, tu es envoyé sans doute pour être mon héritier. Tout un monde périt avec moi. Si c’est toi qui annonces le monde nouveau, je te dirai qui je suis. Toi seul m’auras connu ! »

À ces mots, il prit Merlin par la main, et, l’ayant conduit dans le plus épais de la forêt, il le fit asseoir à ses côtés sur la mousse et poursuivit en ces termes :

« Je n’ai pas toujours été un solitaire de cette forêt. La vieillesse n’a pas toujours appesanti mes pas. À ton âge, ô mon fils ! je commandais aux hommes, et même à l’armée des étoiles qui m’oublient et me raillent aujourd’hui.

— À l’armée des étoiles ! s’écria Merlin ébloui. Vous êtes donc un enchanteur, mon père ?

— Eh quoi ! mon fils ! toi aussi tu en doutes ? répondit le vieillard avec amertume. Écoute-moi ! plusieurs fautes