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LIVRE VIII.

Sorti d’une angoisse fiévreuse, pire que la mort, Merlin reprit par degrés son équilibre. Il accabla de sa bonté angélique celui qui lui avait enfoncé un trait dans le sein. Mais un mot, qui lui échappa à la fin, prouve qu’il en souffrait encore et qu’il avait su se vaincre.

« Après tout, dit-il à l’enchanteur allemand en lui serrant la main, je sais bien, moi, que j’existe, car je vous pardonne. »

Merlin, jugeant qu’il avait accompli la tâche qui l’avait amené dans ces lieux, s’apprêta à les quitter. Plusieurs affaires l’appelaient en Italie. Mais, comme il sentait déjà le mal du pays, au lieu de prendre le chemin le plus court, par les Grisons, il se détourna et choisit celui de France.

Pourtant il ne fit pas si grande diligence qu’il ne s’arrêtât quelques semaines dans la forêt Noire, sur les bords du Necker.

Comme il cueillait des myrtilles, un étudiant vint le prier, suivant l’usage du pays, d’écrire quelque chose dans son album. Merlin y griffonna de très-bonne grâce, mais d’une très-mauvaise écriture, une de ses triades ; elle commençait ainsi : « Sous chaque parole obscure il y a un esclavage. » L’étudiant, ne pouvant la déchiffrer, alla interroger son maître le docteur Albert le Grand, qui consulta un plus savant que lui. Et aujourd’hui encore, si vous visitez ces lieux enchantés, à travers l’épaisseur des bois de châtaigniers, parmi les prés, les ruines des tours écroulées, dans les niches de lierre, vous verrez de nobles groupes de vieillards tout