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MERLIN L’ENCHANTEUR.

« Sont-ce là vos adieux, Faust ? Sur quoi vous fondez-vous pour supposer que je n’existe pas ?

— Le voici, ô roi des sages ! Premièrement, vos œuvres surpassent mon intelligence. Or mon intelligence est la mesure du possible. Secondement, vous agissez, vous pensez, vous sentez, vous aimez autant qu’un peuple tout entier. Donc, vous êtes, non pas un individu, mais l’idée creuse de ce peuple. Faites-moi cet aveu, je vous garderai le secret. »

Merlin, qui s’était contenu d’abord avec peine, sortit de son caractère et répliqua avec une véhémence qu’il s’est reprochée plus tard :

« Ô le plus ingrat des hommes ! tu m’accuses de ne pas exister, moi qui viens de t’enseigner le mystère de mon art ! Tu m’accuses de ne pas exister ! Que dirais-tu donc de Viviane ? »

Ici sa voix se brisa ; il éclata en pleurs, car un doute affreux avait traversé son esprit ; ce ne fut qu’un éclair, mais un éclair dans une nuit infernale. Il semblait se chercher lui-même, s’interroger en silence ; toute sa personne donnait l’idée du déchirement le plus cruel. Enfin, ne pouvant discuter, il prend la main froide de Faust et la met sur son cœur :

« Sentez-vous, docteur, comme il bat ? Voilà ma réponse ! »

Le philosophe allemand en fut attendri malgré son triple airain.

« Vous pleurez, Merlin ? lui dit-il. Donc vous existez, la conséquence est sûre. »