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MERLIN L’ENCHANTEUR.

d’acier, Siegfried, qui portait dans un coffre le trésor nouvellement retrouvé des Nibelungen. Une population rude, fauve, se pressait sur leurs pas au bruit des cornes de buffle. Au sommet des montagnes brumeuses, sur la rive gauche, défilaient, dès l’aube du jour, des chevaliers à la visière baissée, accourus à l’appel de Merlin. Ils montaient des cavales gris pommelé et conduisaient en laisse leurs innombrables chiens de guerre, qu’ils allaient démuseler. C’était le peuple d’Arthus, à la fière pensée, la lance haute, prête à frapper. Leur chef portait de l’ambre en forme de bandeau tordu autour de ses tempes.

Des deux côtés du fleuve, plusieurs défis avaient été lancés. Un seul mot de plus, et la fête se terminera par un carnage. Le malheur voulut qu’il se trouvât un gué. Aussitôt des deux bords les deux peuples se précipitent l’un sur l’autre. En un moment le grand fleuve, tout impartial, tout philosophe qu’il est, prit la couleur du sang.

Dans ce premier moment de confusion, Faust conduit Merlin sur une roche d’où l’on dominait aisément le combat. Avec un mélange d’exaltation et de froideur :

« Quel spectacle sublime, ô Merlin ! lui dit-il. Quelle épopée non fantastique mais réelle ! Où vites-vous jamais mieux qu’ici, je vous prie, la puissance humaine aux prises avec la surnaturelle ? C’est dans ces heures que l’énergie de l’âme apparaît dans sa grandeur épique. La pensée brille ici comme l’épée hors du fourreau ; car ce qui plaît dans cette affaire, c’est qu’il s’agit ici d’un