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LIVRE VIII.

sens. Mais il était à craindre qu’à la moindre occasion leur tempérament opposé ne les brouillât de nouveau et ne les mît aux mains sous les yeux mêmes de l’enchanteur ; ce qui, hélas ! ne manqua pas d’arriver. La parole imprudente de Faust en fut la cause.

À peine il avait fini de parler, plusieurs murmurèrent et dirent : « Pourquoi se fait-il si humble ? Pourquoi reconnaît-il la supériorité de Merlin ? Pourquoi avoue-t-il que Méphistophélès, qui est de race teutonique, est le vassal et non le prince de l’Enfer ? Le voilà qui maintenant abandonne cet honneur à Belzébuth, qui est de race française. Cela peut-il se supporter ? »

Les nains, entendant ce langage, se glissèrent en rampant hors de leurs manoirs. Ils vinrent mêler leur fiel à l’amertume et à l’envie qui remplissaient déjà le cœur de la foule. Suivant eux, c’était pour humilier les Teutons que Merlin s’était préparé ce triomphe. Dire que le roi de l’Enfer n’était pas de race germanique, n’était-ce pas le comble de l’injure ? Le sang seul pouvait laver cette honte. « Il n’était rien de mieux, ajoutaient-ils, que des os de Francs-Gaulois broyés pour faire pousser le blé. » Tant firent-ils, que la haine remplaça partout l’amour.

Déjà sur les deux bords s’étaient rassemblées deux armées, opposées par la race, la langue, le génie. Sur la rive droite marchaient en tête Malvasius, roi d’Islande, Grunvasius, roi des Orcades, Lot, roi de Norvège, Holdinus, roi des Ruthènes. Ils avaient auprès d’eux Thor avec son lourd marteau, Hildebrand avec son archet