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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Sur cela, une foule de nains difformes rentraient dans leur taudis avec horreur et s’écriaient : « Nous ne serons pas de la fête ! Quoi ! c’est trahir la blonde Allemagne que de faire fête à Merlin le Gaulois. »

Mais tous ceux dont la taille n’était pas trop au-dessous de l’ordinaire riaient de cette colère des nains et se prêtaient au triomphe de Merlin. Partout où il s’arrêtait, des jeunes filles blanches de neige, aux longues tresses blondes tombant sur les épaules, lui apportaient des couronnes de lierre. Elles avaient soin d’y ajouter quelques tranches d’un pain doré, quelques baies de myrtilles et un vin fumeux dans le cristal coloré de Bohême. Entraînés par une force souveraine, la foule des rois, des ermites, des pèlerins, qui habitaient les vieux manoirs, descendirent de leurs retraites et suivirent sur les deux rives le bateau de Merlin qu’ils avaient pavoisé de fleurs de houblon. Cette foule, qui grossissait à chaque pas, couvrait au loin le pays ; elle lui eût fait son cortége jusqu’au bout de la terre, s’il ne s’y fût opposé. Même plusieurs cerfs des bois entrèrent dans le fleuve et suivirent à la nage. En face de Mayence, le docteur Faust, sortant de la Thurmmause, arriva sur une petite barque. Il vint saluer en Merlin son ancien et son maître, ce qui fut cause d’un grand malheur, comme on le verra bientôt.

De temps immémorial, les deux rives étaient habitées par des peuples très-jaloux l’un de l’autre. Ils étaient toujours prêts à en venir aux mains. Pendant que Merlin passait, ils avaient fait trêve à leurs haines séculaires, subjugués par sa douceur, jointe à son bon