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LIVRE VIII.

deux rives ; il lui montrait les hameaux endormis au pied de ces hautes murailles.

« Vois ces peuples ! Ils sont heureux, ils ne font aucun bruit. On croirait qu’ils germent en silence, comme l’herbe des prairies.

— C’est donc qu’ils payent peu d’impôts ? disait Jacques Bonhomme.

— C’est le contraire, ils en payent beaucoup, et, malgré cela, ils sont heureux, parce que les enchanteurs y ont plus de crédit qu’en aucun lieu du monde, et, si je ne me fais grande illusion, tu en auras bientôt la preuve. »

À peine avait-il achevé, sur les balcons et les terrasses des vieux châteaux, et sur l’esplanade des tours crénelées, on vit paraître une population entière de rois, d’ermites, de ménestrels, de pèlerins, de nains, de rhingraves, qui, se courbant jusqu’à terre, témoignaient le plus grand respect à notre héros. Tantôt c’était un roi centenaire, à la barbe blanche, qui, pour lui faire honneur, laissait tomber du haut d’un balcon sa coupe d’or dans le Rhin pendant qu’il passait. Tantôt c’était un vieux joueur de harpe qui, se tenant au sommet d’une tour, chantait une ballade que l’écho répétait jusqu’à trois fois. Après avoir chanté il brisait sa harpe.

Quelques nains boudeurs, il est vrai, se dressaient sur leurs pieds et, regardant par la fente d’un mâchicoulis, ils demandaient :

« Cet homme est-il vraiment Tudesque ? Est-ce sûr ?

— Non, répondaient d’autres nains, il est Français. »