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LIVRE VIII.

qui peut-être partira dès demain. Pourquoi veux-tu qu’ils donnent leur cœur à l’oiseau qui n’a pas choisi son gîte, que la tempête a jeté sur leur côte, et qui lui-même n’aspire qu’à revoir le nid natal ? Contente-toi de la justice ; ne demande pas l’amour. C’est beaucoup s’ils le prêtent une pierre du chemin pour y poser ta tête, et cela même mérite une récompense. »

En témoignage de ces dernières paroles, Merlin apprit aux gens du pays, Flamands, Bataves, Frisons, hommes de Bruges et d’Anvers, à briser sur leurs rivages la colère de l’Océan.

« Assemblez, leur disait-il, de petites verges d’osier, et, après les avoir entrelacées les unes aux autres, faites-en une claie où viendront se briser tous les flots mutinés.

Les gens du pays se prirent à rire.

« Comment, disaient-ils, ô roi des sages ! apprivoiserons-nous la mer en la fouettant de verges d’osier ? »

Merlin répondit :

« Les grandes passions domptent les grands obstacles, mais elles s’usent devant les plus petits, lorsqu’ils sont répétés et ne laissent de répit ni jour ni nuit. Il en sera de même de la fureur de l’Océan, si vous faites ce que je dis. »

Convaincus par ces discours, les Bataves obéirent au conseil de Merlin ; c’est ainsi qu’ils se firent, parmi les algues et les coquillages, une patrie invincible dans le lit toujours orageux de la mer du Nord.