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MERLIN L’ENCHANTEUR.

naufragés qui prennent terre sur vos côtes ? Est-ce être hospitalier que de leur laisser respirer l’air des grèves et contempler le ciel orageux, sans les repousser dans l’abîme ? Autant font les vautours. Hospitaliers au même titre, eux aussi ne dépècent que les morts. »

Ainsi il parla aux bourgeois et aux peuples. Mais, craignant tout aussitôt d’être injuste, il se retourna vers Jacques et il lui dit :

« Je prévois, à la tristesse qui me prend dans ces lieux, qu’ils deviendront pour toi, mon fils, un endroit, non de pèlerinage, mais d’exil. Je ne sais si tu y laisseras tes os. Je sais, assurément, que tu y passeras de longs jours, non par la volonté, mais par celle d’autrui. Tu resteras enchaîné dans ces lieux, parce qu’il te semblera doux d’entendre au moins un écho de la langue natale. Pour quelle cause tu seras conduit ici, je ne puis le dire. Au reste, je te ferai une enceinte sacrée autour de ta pensée, et nul ne pourra t’y assiéger.

— Serez-vous avec moi, seigneur Merlin ?

— Oui, mon fils, si je suis encore de ce monde.

— Alors tout sera pour mon bien.

— Ne parle pas ainsi, mon fils. Rien ne peut remplacer le doux air du pays où l’on est né, l’ombre des arbres qu’on a plantés, le parler des femmes qui ont connu votre mère ; rien, ô mon fils, ne peut remplacer cela, pas même le puissant Merlin qui remue les rochers. Tâche seulement de ne pas être injuste envers ceux au milieu desquels tu vivras. Ils n’ont connu ni les tiens ni ton berceau. Tu es pour eux l’étranger