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LIVRE VIII.

lin l’avait saisi par son sayon et mis en lieu de sûreté.

S’étant aventuré dans le plat pays, il fut accueilli par Geneviève de Brabant, qui l’hébergea d’abord dans sa grotte, et lui servit de guide à travers les plaines coupées de marécages. À l’entrée de chaque village, les pinsons le saluaient d’un chant intarissable. Il crut que c’était là un concert ménagé pour célébrer son arrivée.

Mais quelle fut son indignation, lorsqu’il apprit que ces chanteurs étaient aveugles et que les habitants leur avaient traîtreusement crevé les yeux pour mieux jouir de leur gazouillement :

« Pauvres Homères ! s’écria Merlin en considérant leurs petites paupières blanchâtres abaissées l’une sur l’autre, n’est-ce pas assez que Thamyris, Orphée, Amphion et le poëte de l’Iliade aient reçu le même prix de leurs chansons ? Qui donc a été fait pour la lumière, si ce n’est vous, puisque vous en êtes les messagers ? Les yeux fermés par les méchants, saluez l’aurore éternelle, puisque l’aurore, ici-bas, vous a été retirée ! »

Se tournant alors vers les peuples régis par Geneviève de Brabant :

« Ô peuples ! n’avez-vous pas de honte, d’ôter la lumière aux fils de la lumière ? À qui la laisserez-vous, si vous l’enlevez aux coryphées du jour ? »

Puis il ajouta :

« Hommes ! c’est donc ainsi que partout vous accablerez les vrais bardes de soucis et d’avanies ! Vous les plongerez dans la nuit d’angoisses, seulement pour en