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MERLIN L’ENCHANTEUR.

joues s’empourpraient comme celles des hommes repus qui cuvent le vin sanglant de l’homicide.

Puis, étant montés sur le plus haut rocher, ils crièrent de manière à être entendus de toute la terre : « Il n’y a point de justice, il n’y a que de l’or ! »

Et le prêtre irlandais, maudit des bardes, répéta après eux : « Il n’y a point de justice ! »

À ces voix, parties du milieu du peuple qui semblait le plus sage, tous les hommes pâlirent à la fois. Ils s’entre-regardèrent comme si la mer venait d’engloutir la conscience de l’homme. Chacun se sentit dépouillé un moment de son âme immortelle.

À ce moment, Merlin, regardant les trois îles, recommença de maudire, et sa voix couvrait celle des peuples et celle des tempêtes :


« Je ne savais qu’aimer ; pourquoi m’ont-ils appris à haïr ?

« J’ai vu des bardes, des outlaws, des bannis, des justes, auxquels leur froide indifférence a ôté la raison. Ils riaient au bord des flots et ils s’y engloutissaient au même moment.

« Non, je ne puis pardonner l’insanité de l’homme juste, provoquée par l’endurcissement des hommes de proie.

« Qu’elle retombe sur eux, à leur dam, en larmes, en angoisses, en affres et désespoirs ! Au milieu de leurs vaisseaux démâtés, qu’ils aillent errants, sur la grève, la tête nue, branlante, égarée, chantant des