Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
MERLIN L’ENCHANTEUR.

regard de serpent. Mais nul ne sera jamais plus étonné que l’un et l’autre, quand l’enfant, interrogé sur ce qu’il voulait devenir, répondit d’une voix forte comme d’un géant, et en frappant la terre du pied : « Moi, je veux être un enchanteur ! »

VI

Quelle fut la cause d’une réponse aussi indiscrète ? Sans doute la différence d’opinions, de sentiments, de croyances, de religion chez le père et la mère ; joint à cela l’habitude funeste, transmise jusqu’à nous, de parler devant les enfants, comme s’ils ne nous comprenaient pas. Pendant que nous nous imaginons être seuls, ces petites intelligences boivent à longs traits le poison qui découle de nos lèvres. Vous les croyez tout occupés à poursuivre une mouche, et voilà que nous imprimons dans leur âme ingénue les rides d’une vieillesse anticipée, à laquelle il n’y a plus de remèdes.

Nul au monde n’éprouva plus cruellement que mon héros les conséquences de cette coutume. Depuis la fatale conversation de sa mère et du cavalier, vous ne l’eussiez plus reconnu. Deux génies vivaient en lui et se le disputaient. Comment s’en étonner ? Il avait incontestablement les plus grandes ressemblances avec sa mère. C’est d’elle qu’il tenait sa beauté, son front, ses