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LIVRE I.

dans le paganisme. Ses dieux, croyez-moi, ne sont pas si morts qu’on le prétend ; ils sauront un gré infini à ceux qui ne les auront pas reniés dans la mauvaise fortune.

— Pourtant, répliquait timidement la mère, Merlin pourrait être le premier des moines.

— Il vaut cent fois mieux qu’il soit le dernier des druides.

— Mais, véritablement, que peut-on mettre au-dessus du ciel des chrétiens ?

— Beaucoup de choses. Moi, par exemple, je préfère, sans contredit, l’élysée des païens.

— Ne faut-il donc pas diriger Merlin vers les choses de l’esprit ?

— Croyez-moi, ne l’exaltez pas de si bonne heure ; il ne faut pas non plus trop méconnaître la matière.

— Ah ! seigneur, si tous mes vœux étaient comblés, il trouverait le bonheur dans la vie contemplative.

— Que dites-vous ! C’est la vie active qui lui convient ; les affaires, la guerre, fondement de toute noblesse, voilà au moins un but à l’existence.

— Ô céleste ignorance ! puisses-tu l’accompagner jusqu’à son dernier jour !

— J’espère bien, au contraire, qu’il mordra au fruit de la science. »

Pendant ce dialogue, Merlin écoutait avec angoisse, partagé entre deux forces qui l’attiraient aux deux extrémités opposées du monde. Sa mère le couvait d’un regard de bienheureuse. L’étranger le fascinait d’un