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LIVRE VII.

l’oreille à terre. Le grand roi te mène à ses chasses. Allons ! va ! cours ! dépiste le gibier pour le veneur. Mais, non, ce n’est plus toi. Te voilà changé encore ! Qui donc es-tu ? Jacques Bonhomme ! Merlin se lasse, Merlin s’épuise à te poursuivre. Tu fuis, tu changes de formes, de volonté, de figure, de cœur, de couleur, à mesure qu’il veut te saisir. Je t’ai laissé humble et doux ; te voilà de nouveau superbe ! ta tête se perd dans les nues. Pourquoi brises-tu ce que tu as élevé ? La mer, les vents, le roseau sont des modèles de constance, en comparaison de toi, Jacques Bonhomme. Tout à l’heure, je t’ai vu moi-même construire ces donjons. Pourquoi maintenant cours-tu les démolir ? Que t’ont fait ces tours et ces tourelles ? Ah ! que de sang, pauvre Jacques ! Encore du sang ! Regarde donc à tes mains ! Que de fois on te le reprochera, quand même ce serait le tien ! Comment te laveras-tu ? On te suivra à la trace de ce sang. Comment feras-tu sortir la justice de cette source de feu ?

— La justice me lavera, monsieur. Je suis Jacques Bonhomme, et n’ai rien fait de ce dont on m’accuse.

— Toi, si doux, si humain, comment as-tu pu être si impitoyable ?

— Il faut donc, monsieur, que l’on m’ait trompé ce jour-là, ou que j’aie été poussé à bout. Je ne suis, croyez-moi, ni mer, ni roseau, mais un honnête homme qui ne demande que son dû. Ah ! peut-être m’aura-t-on mis en colère ! Peut-être m’aura-t-on ce jour-là faussé la promesse, refusé ce qui était mon droit,