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MERLIN L’ENCHANTEUR.

frapper le plus fort ? À droite ou à gauche ? Où commencerai-je l’attaque ? Je suis déjà dans la mêlée. »

Merlin laissa s’exhaler en ces termes Jacques Bonhomme, que l’exaltation de la guerre avait déjà gagné ; après quoi il le réprimanda doucement comme il suit :

« À voir comme le seul mot de guerre t’enivre d’une joie folle, je crains que tu ne boives dans cette coupe au delà du nécessaire. Si tu te laisses si aisément éblouir par le clinquant des épées, comment sortiras-tu jamais du servage ? Tu ressembles à l’ours que l’on conduit, au bruit du tambourin, par un joyeux anneau de fer étincelant passé dans les narines ! Certes ! je ne suis pas inquiet de ton courage dans les champs de tueries que tu nommeras les champs de gloire ; mais je ne sais si tu montreras la même bravoure dans les choses de l’esprit.

— La même, interrompit Jacques.

— Sache, Jacques Bonhomme, reprit Merlin avec sévérité, sache qu’il ne faut jamais interrompre les enchanteurs pendant qu’ils parlent. Autrement, à moins qu’ils ne soient aussi clairvoyants qu’il m’est donné de l’être, il leur arrive de perdre le fil de leur pensée ; et ceux qui les interrogent avec impatience restent à jamais perdus dans un défilé inextricable dont il leur est impossible de sortir. Vois donc le danger que tu as couru par ta faute, et tâche de t’en garantir une autre fois. »

Jacques avala les paroles qu’il avait sur les lèvres.

« Maintenant donne-moi cette main, reprit Merlin de plus en plus emporté sur les ailes de la divination.