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LIVRE VII.

vèrent que ce jeu les empêchait de rêver l’un à l’autre. Ils le laissèrent pour d’autres jeux qu’ils inventaient chaque jour. C’était le plus souvent des paroles qui n’avaient de sens que pour eux, des murmures sans suite, un gazouillement, un roucoulement humain, plus mélodieux que le gazouillement des fauvettes et des mésanges dans les branches des saules.

Que la journée ainsi remplie était vite terminée ! Et ils ne la prolongeaient pas artificiellement à la clarté aveuglante des lampes. Ils ne dérangeaient point l’ordre marqué par la nature ; mais ils suivaient docilement le conseil des cieux. Après avoir vécu pendant le jour comme les oiseaux des bois, ils se couchaient comme eux, ou peu s’en faut, une heure après que le soleil avait disparu. Les longues veilles fiévreuses ne pâlirent jamais leurs joues. Et pourquoi se seraient-ils refusé un sommeil salutaire ? Ils savaient que le lendemain devait se lever pour eux, plus beau encore que la veille.

II

Ils s’aimaient et ils étaient heureux ; voilà ce que je puis assurer. Les monuments de leur félicité sont innombrables ; vous ne pouvez faire un pas sans en rencontrer les vestiges dans nos bruyères. Qu’est-ce donc que l’homme, si de pareils témoignages ne lui suffisent pas ? Quelle pensée, quels souvenirs, quels sentiments