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LIVRE VII.

Après quoi, une larme sacrée humectait à peine la paupière, et cette larme produisait l’effet de la rosée sur une campagne brûlante. Il n’en restait aucune trace dans le cœur qui se sentait au contraire renouvelé. Suspendue un moment, la vie revenait à flots précipités. C’était comme une dissonance presque insaisissable, qu’un artiste habile jette au milieu du tissu de ses mélodies pour en rehausser le prix. Car nous sommes des êtres si imparfaits que le bien ne nous plaît qu’à condition d’être mêlé d’un peu de mal.

Au reste, chacun d’eux conservait son caractère même dans ces instants difficiles. Viviane, plus fantasque, revenait aussi plus vite. Jamais on ne la vit plus sereine, qu’au moment où un de ces nuages venait de passer sur son front. Merlin avait l’humeur plus égale ; en revanche, quand il tombait, sa chute était plus lourde ; il avait plus de peine à se relever. Un orgueil plus terrestre l’enchaînait à sa faute. Mais aussi quand il avait pu se vaincre, comme il savait s’humilier ! Il demandait sa grâce avec passion, comme s’il eût commis un crime. C’eût été en effet un crime impardonnable de gâter la plus grande félicité qui sera jamais sur la terre.

Ils ne se nourrissaient pas seulement du fruit des arbres, ils ne se désaltéraient pas uniquement de l’eau des ruisseaux. Quelques serviteurs fidèles leur préparaient une nourriture modeste mais convenable : du laitage, du miel, des œufs de leur basse-cour, des gâteaux safranés, un peu de gibier, un petit vin clairet de la côte voisine, puis c’était tout.