Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/227

Cette page a été validée par deux contributeurs.
215
LIVRE VII.

Merlin et Viviane ne rencontraient ni promeneur divin, ni archange aux ailes d’or, ni serpent à la tête de femme. Ils ne rencontraient, ils ne voyaient, ils n’entendaient, ils ne cherchaient qu’eux-mêmes ; et peut-être en cela furent-ils égoïstes. Aucune voix surhumaine ne les arrêtait au détour des sentiers quand ils cueillaient les fruits dont leur jardin était rempli. Nulle appréhension, nulle menace, nulle épée flamboyante. Ils ne conversaient pas avec les animaux, car ils n’avaient nul besoin de leur parler. Un signe de la main ou des yeux, c’était assez pour en être obéis.

Ils ne chantaient point d’hymne matinal aux Élohim. Mais leur vie était un hymne continuel, que l’un adressait à l’autre. Nul doute qu’ils ne se soient trop divinisés, surtout à ces heures matinales où ils étaient tous deux éblouis l’un par l’autre après les ténèbres. Ce fut là leur faute. Vous verrez qu’elle fut expiée.

Combien de fois nos premiers parents furent attristés par le désir de la désobéissance, par le pressentiment de la chute irrévocable ! Ils désiraient ce qui leur était interdit ; dans leur félicité il y avait déjà un commencement de douleur. Tels n’étaient pas Merlin et Viviane. Soit aveuglement, soit ignorance, ils n’avaient aucune idée de la chute.

Que dis-je ? ils avaient un sentiment tout contraire. Après chaque caresse ils se trouvaient embellis et le monde avec eux. D’ailleurs ils n’avaient point de vaine curiosité ; ils croyaient tout posséder sitôt que leurs mains se tenaient entrelacées. Jamais une sourde in-