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LIVRE VI.

voit pas ailleurs sur toute la terre ; mais ils duraient peu, à peine le mois de mai. Sitôt qu’en juin l’haleine mielleuse des nénuphars et des mauves se répandait dans l’air, vous respiriez la mélancolie elle-même. C’était une douceur, une langueur et des larmes en toutes choses, comme les prémices d’un doux sépulcre. Quelle odeur indicible, mystique, angélique, incorporelle, sortait alors des plantes exténuées ! Elle ne tenait en rien de ce monde. Je crois que le souffle pacifiant des morts s’exhalait avec la myrrhe le long des haies de noisetiers et de framboisiers, à travers les rides de la terre argileuse ; et cette haleine passait dans vos cheveux.

Surtout le mystère était profond autour des étangs dormants où les grands chênes plongeaient le pied en frissonnant. Une ruine, une vieille tour sortait du milieu des eaux profondes ; et nul pont près de là ! nulle barque pour y aborder ! personne pour indiquer la voie ! Sur le calice des fleurs des eaux dansaient en rond de blancs sylphes étincelants qui poursuivaient çà et là l’aigrette aérienne du chardon enlevé par la brise. C’est là que la digitale ouvrait ses grandes fleurs béantes comme des gueules de serpent autour d’un caducée.

Sur la margelle des champs d’avoine, se tenait au loin, immobile, un héron, hiéroglyphe d’un monde rêveur. D’ailleurs jamais le cri d’un essieu dans les clairières. Jamais un messager dans les profondeurs des hautes futaies. Quelquefois un incendie d’herbes sè-