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MERLIN L’ENCHANTEUR.

— Lequel ? demanda la dame en l’arrêtant.

— Une occasion unique de donner votre cheval et votre faucon.

— À qui ?

— À ce misérable.

— Vous êtes fou, je pense, Merlin, reprit la dame en jetant un regard dédaigneux sur le pauvre. Y songez-vous ?

— Ah ! madame, dit Merlin, je sors de l’enfer ; je n’y ai rien vu de plus terrible que ce que je vois en ce moment : l’impassibilité, la dureté, l’avarice, sur un front d’ange. »

Cette réponse, cet à-propos firent rentrer la dame en elle-même ; elle se rappela qu’elle avait un cœur ; surtout elle eut honte d’avoir été surprise le front plissé, comme si elle avait des rides et les lèvres pincées.

Elle jeta un regard épanoui sur le misérable. Rien n’égala son étonnement lorsqu’elle vit que c’était là un homme, et qu’un misérable pouvait avoir les yeux noirs et les cheveux bouclés. Elle sauta légèrement à terre, et remettant son cheval et son faucon à Merlin :

« Tenez, lui dit-elle. Je les lui donne. »

Ce trait fondit comme la cire le cœur du jeune homme, que la misère seule avait dénaturé.

Il improvisa aussitôt des vers, nés de son émotion, et, dans sa reconnaissance, il y avait déjà beaucoup d’amour. C’étaient les premiers vers qui eussent été composés dans ce pays et dans cette langue.

La dame s’appelait Gabrielle, ce qui donna au jeune