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LIVRE I.

ouverte, creusée d’avance, la cour, le jardin semé de ronces et d’oseilles sauvages, une cigogne qui marche solitaire dans un sentier bordé de mauves. Mais quoi ! pas une seule figure humaine !

Le monastère est-il habité ? Jamais la porte n’a été entr’ouverte ; jamais on n’y a entendu une prière, ni le son d’une cloche ; une sainte a muré sur elle les portes du saint lieu. C’est une fille de roi que l’ennui de la terre a saisie dès le berceau. Sa douce haleine de vierge purifie au loin le monde. Elle a juré de n’avoir pour époux que Jésus-Christ ; jamais serment ne fut plus sincère.

Ce jour-là, arrive un cavalier au galop de sa noire haquenée saxonne. Sur la tête un casque d’or, sur les épaules un manteau rouge. Il frappe à la porte du monastère : « Ouvrez, dit-il, je suis un pénitent blessé ; j’apporte des nouvelles du Calvaire, je viens de saluer Bethléem et Nazareth. Ma sœur, je vais périr, si vous tardez encore. Souvenez-vous du bon Samaritain. » Et il montrait de larges blessures ; il serrait sur sa poitrine un crucifix.

La porte murée se descelle, le cavalier entre à travers les décombres.

La nuit est venue, une nuit de l’Érèbe, épaisse, sillonnée d’éclairs. La vierge blanche, sainte, se jette sur son lit plus blanc que l’aubépine en fleur, et s’endort, la tête sur son coude. Mais agitée, inquiète, elle a oublié de faire le signe de la croix au pied du crucifix. L’enfer veille et l’a vue ! il a dit : C’est bien ! elle est à moi !