Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.
197
LIVRE VI.

l’histoire de France. Il s’entretient avec celui qui s’appellera Vico. »

Je fis un pas vers lui et j’allais l’appeler, mais le maître me retint :

« Il n’est pas encore temps, dit-il. D’autres arrivent que tu apprendras seulement à connaître dans les mauvais jours. Ils ne suivaient pas le même sentier que toi dans les heures de la jeunesse, mais quand l’adversité viendra, elle vous réunira tous.

« Regarde comme ils ont la marche fière et comme l’orage n’a pu courber leur tête. Le monde les insulte, parce qu’il les voit désarmés.

« Ils sont seuls, ils se taisent, car il leur est interdit de parler. Ils ont un sceau sur la bouche ; mais leur pensée luit sur leurs fronts. Vois comme leurs enfants qui les suivent dans le chemin austère sont pressés de la faim ! et comme ils pleurent en marchant ! Vois comme leurs femmes travaillent le lin en gémissant dans la nuit pour leur sourire au jour ! Vois comme on leur refuse le gîte parce qu’ils veulent faire entrer la justice avec eux, et comme ils sont rejetés de seuil en seuil, sans que personne crie : pitié ! Vois comme ils se nourrissent d’espoir et sont indulgents au peuple qui les a oubliés ! Tu seras un de ceux-là. Comme eux, tu vivras d’espérance, mais tu n’auras pas la même douceur de cœur ; et ton indulgence ne sera pas aussi grande. »

Ce furent là ses dernières paroles. Pendant qu’il les achevait, j’envisageais avec piété ceux qui devaient