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MERLIN L’ENCHANTEUR.

que mourir (car tu vivras longtemps sans le savoir) ; c’est elle qui te donnera le jour.

— Arrête-toi, ô maître ! lui dis-je. Elle ne vivra donc pas aussi longtemps que moi ? Ah ! tu m’as rendu la vie cruelle avant que je l’aie goûtée. Tu m’as fait connaître le poison avant que j’aie effleuré la coupe. Je crains maintenant que cette parole ne me revienne quand je serai sous le soleil, et qu’elle ne corrompe pour moi toutes les joies espérées. »

Le maître reprit :

« Voici ceux que tu enseveliras toi même de tes mains. Ils sont trois, et parmi eux la plus pâle est une sainte. Regarde comme ils se doutent peu de l’heure dernière ! Comme ils baignent leurs yeux dans les tiens ! Comme la promesse de vie leur est douce ! Mais toi, qui sais comme elle sera courte, pleure et gémis ! »

En voyant que la douleur dont il venait de me remplir était plus forte que moi (car ma vue s’obscurcit et je fus obligé de m’appuyer sur lui pour ne pas tomber), le maître voulut me consoler ; il reprit en ces termes :

« Relève-toi ! Vois celui qui fera avec toi le plus long chemin et qui, du premier jour jusqu’au dernier, te donnera la plus forte amitié. Il n’est pas ton frère et il sera plus que ton frère. Plusieurs voudront vous diviser, et ceux-là ne serviront qu’à vous unir davantage. Ô paix ! ô force ! ô repos ! ô douceur de deux âmes unies dans le combat de la justice ! Regarde-le. C’est celui qui porte dans ses mains les tablettes encore blanches où s’écrira