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MERLIN L’ENCHANTEUR.

dirai, à l’exemple des anciens (quelle autorité meilleure ?), c’était avant la moisson ; les épis étaient encore sur pied, ils répandaient l’odeur de la nielle sur la lisière des bois. Je dirai encore que le jour était doux et tempéré. Ce devait être une matinée du mois de mai, peut-être de juin. Une pluie tiède, rare, avait rafraîchi l’air étouffant des plaines ; elle était à demi essuyée, excepté dans le calice des roses sauvages, et sur la feuille charnue du chêne. À peine quelques nuages dorés sur les bords emportaient je ne sais où, dans un lambeau de pourpre, quelque ancien dieu attardé et fugitif ; car les dieux païens n’avaient pas tous encore quitté la terre. La croix était chancelante à l’endroit où elle était le mieux plantée. Le monde, ne sachant encore s’il appartiendrait à Jupiter ou au Christ, se parait de son plus beau rayon. Son haleine ressemblait à l’ambroisie, comme pour dire à la volupté ancienne : « Sois tranquille ! quoi qu’il arrive, je te reste fidèle. »

Une forêt s’étend au loin de ravins en ravins, de montagnes en montagnes, là où plus d’une ville dort encore sous la mousse. Au milieu de la forêt, sur une vaste pelouse, au bord d’un torrent, que voyez-vous ? Un monastère, le premier, sans doute, qui ait été élevé dans cette partie des Gaules.

La muraille est haute, tapissée de lierres, et plus haute la colline qui l’enveloppe de tous côtés. Si vous pouviez gravir au sommet de la montagne, vous verriez à vos pieds la chapelle close, la tombe