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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Celui qui était égaré un moment auparavant saisit avidement le fil et se mit à marcher au-devant des abîmes, en sorte que ses pieds rasaient à peine la terre ; et, se retournant, il vit s’augmenter le troupeau des esprits qui venaient après lui.

Une ambition nouvelle le saisit alors ; il ajouta :

« Ô maître, puisque tu m’aimes, conduis-moi vers la source des choses. Je l’entends sourdre ici non loin de nous. Montre-moi la poussière d’où naissent les mondes étincelants ? Apprends-moi à peser dans mes mains ces globes chevelus que j’ai aperçus ici par hasard ; car eux du moins, lorsqu’ils passent, ne refusent pas leurs clartés à nos limbes. Fais-moi goûter les prémices de ce jour terrestre qui ne connaît ni ténèbres ni ombres. Je ne publierai pas avant l’heure la gloire des cieux, si tu me la confies. Je mettrai un doigt sur ma bouche. Personne ne connaîtra prématurément la splendeur de l’univers visible. Ils viendront autour de moi ; ils me demanderont comme ils ont coutume : Sais-tu ce qui est par delà les portes des limbes ? Je répondrai : Je l’ignore.

— Retiens ta curiosité, ô René ! répondit le prophète avec une majesté presque divine. Crains de te laisser consumer avant l’heure par tout ce qui reluit, comme tu vois ce papillon nocturne se jeter en extase dans cette source brûlante de naphte. Que t’importent les cieux changeants que tes yeux ne peuvent voir encore ? Contente-toi aujourd’hui de l’immuable et rassasie-toi à loisir de l’invisible. Toi qui crains tant d’être abusé, qu’as-tu à faire des promesses menteuses des flots et