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MERLIN L’ENCHANTEUR.

— Je ne sais, répondit l’esprit, qui m’as mis en cet endroit, ni d’où je viens, ni où je vais. C’est pourquoi tu me vois si pensif.

— Que cherches-tu ?

— L’Éternel. »

À ces mots, comme un lapidaire devine sous la pierre encore brute le diamant qui doit étinceler de mille feux étoilés, de même les yeux du prophète reconnurent l’esprit sous les humbles langes qui le couvraient encore ; il le salua de ces paroles :

« Ô douce Bretagne, il est donc vrai que je vois un de tes fils chevelus ! Celui-là naîtra sur la même terre que moi. Il boira l’eau du même fleuve ; il parlera la même langue. Salut, ô source de toute sagesse ! En Bretagne ils t’appelleront René ; pour tous les autres tu t’appelleras Descartes. Mais que le jour est encore loin où tu luiras sous les voiles qui le cachent ici ! »

Comme il achevait ces mots, la pensée de la douce patrie lui fit oublier où il était. Il tendit les mains vers celui à qui il parlait. Mais l’âme bretonne se déroba, et lui dit tout effrayée :

« Ne suis-je pas un souffle, une vapeur, un néant ?

— Non, lui dit l’Enchanteur, tu es un esprit immortel de ma famille. » Et l’attirant près de lui, il voulut l’embrasser.

L’esprit resta longtemps étonné de cette première étreinte de la vie ; puis, écartant la longue chevelure inculte qui retombait sur son front :

« S’il est vrai, dit-il, que je dois avoir le même ber-