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MERLIN L’ENCHANTEUR.

les aigles avaient prêté leurs ailes à ces solitaires. Ils paraissaient occupés des songes d’un sommeil sacré. Tous, excepté un seul, avaient gardé sur leurs fronts la sérénité du monde naissant.

« Avez-vous perdu le chemin des vivants ? leur cria le prophète, ou plutôt oubliez-vous de vivre, vous qui prenez la place des aigles ? »

Sa voix se perdit dans l’air ; la solitude en devint plus grande.

Le conducteur des trois vies chercha de quel côté le rocher était le moins âpre, et il ne trouva aucun chemin battu. S’aidant alors des ailes de l’esprit, il se fit à lui-même son sentier, et il alla rejoindre ceux qui habitaient les cimes. Tel le berger quitte dans l’été les basses vallées flétries et conduit ses troupeaux sur le mont Rose, là où ils s’abreuvent de neige virginale.

Le premier qu’il rencontra lui demanda en frappant la terre du pied, dès qu’il fut temps de parler :

« Dis-moi si elle se meut ?

— Oui, elle se meut, Galilée ! Ne crains pas le vertige. »

À cette réponse, l’esprit, rayonnant de joie, essaya de balbutier au bord du gouffre :

« Frères, elle se meut ! »

Mais sa voix dépassa à peine le bord de ses lèvres. Il en eut honte, et sa joie divine fut mêlée de douleur. Il eût voulu cacher sa confusion derrière ses compagnons.

« Ne fuis pas la lumière, Galilée, dit le prophète en