Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/189

Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
LIVRE V.

VII

À cet endroit s’éleva subitement comme un bruit de feuilles mortes sous les pas du prophète. C’étaient une multitude de larves accroupies sur la terre qui s’efforçaient de rire. Celles-là étaient les plus misérables.

« Pourquoi vous efforcez-vous de rire ? leur demanda-t-il en se détournant, de peur de les fouler sous ses pieds. Rien n’est plus triste que votre joie.

— Nous rions de vos promesses de vie, répondirent les habitants de la pâle vallée. Pourquoi, prophète, vous jouez-vous des pauvres larves ? Nous ne croirons jamais qu’il y a une vie réelle et un soleil qui se lève par delà les vastes limbes. Plus d’une fois le bruit en a été semé parmi nous, et toujours il s’est trouvé mensonger. Laissez-nous, larves que nous sommes, jouir en paix du royaume des larves. Nous n’en voulons point d’autre. »

Merlin s’épuisa en efforts pour persuader à la foule que par delà les demeures où ils étaient plongés, à demi ébauchés, il y avait un soleil de vie qui réchauffait de son regard les créatures à mesure qu’elles entraient dans le monde. Étaient-ils donc faits pour demeurer à jamais confinés en d’aussi tristes lieux ? Ce n’était, à vrai dire, qu’une préparation à un monde meilleur, une ébauche d’univers, des propylées à peine entrouvertes, ou plutôt une prison.