Page:E. Quinet - Merlin l'Enchanteur, 1860.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.
176
MERLIN L’ENCHANTEUR.

se trouveront abusés sitôt qu’ils verront la lumière ! Comme ils regretteront les limbes, où, grâce aux ténèbres, ils échappaient souvent aux regards du maître ! Je ne leur dis pas ce qui les attend : le cœur leur manquerait ; je vois déjà leurs genoux qui ploient sous le faix. Mais je te le dis à toi, afin que tous ne tombent pas à la fois dans l’embûche du berceau. »

Toussaint l’Ouverture branla la tête et répondit :

« C’est assez, ils t’écoutent ! N’en dis pas davantage. »

Un peu plus loin, Merlin rencontra un autre troupeau d’âmes garrottées ; celles-là étaient blanches et elles semblaient naturellement esclaves, car elles n’avaient point de maîtres. Pourtant elles rampaient, comme si elles eussent senti la verge.

« Pourquoi rampez-vous déjà, âmes serviles ? leur demanda Merlin. Vous n’avez point encore de maîtres ! Qui vous tient ainsi courbées ? Est ce le souvenir d’avoir mal vécu en des temps que je ne connais pas ? Êtes-vous des transfuges du ciel ? Relevez-vous, regardez les choses d’en haut ! »

Mais, sans faire aucun effort pour lui obéir, elles regardèrent comme si elles n’eussent pas compris. Alors Merlin en releva quelques-unes ; il leur apprit à regarder le ciel, qu’elles n’avaient pas encore entrevu. Elles essayèrent de sourire à ces plaines d’azur ; mais, sitôt que Merlin eut passé, elles retombèrent, embrassant de nouveau la terre fangeuse que leurs pieds avaient pétrie.